Responsables du projet :
Marcello Vitali-Rosati
Catherine Mavrikakis

Coordinateur du projet : Enrico Agostini Marchese

Équipe : Jeanne Hourez, Léonore Brassard, Eugénie Matthey-Jonais, Alexandra Roy-Côté, Emma Lacroix, Cassandre Henry

Projet financé par le FRQSC

Site du projet : http://miamigaspe.ecrituresnumeriques.ca/index.php/Accueil

Documentation du projet

 

 

Ressources externes

 

 

Description du projet

Ce projet de recherche-création a pour objectif d'étudier et d'expérimenter les mutations du récit de voyage à l'ère numérique, de manière à mieux comprendre l'influence des nouveaux médias sur le concept d'espace. Nous nous intéresserons en particulier au cas de l'axe autoroutier reliant Gaspé (Québec) à Miami (Floride), dont la mythologie nous semble particulièrement riche en références littéraires, depuis André Breton (Arcane 17, 1945) jusqu'à Michel Vézina (Asphalte et vodka, 2005) ou Gabriel Anctil (Sur la 132, 2012), en passant par Victor Lévy-Beaulieu (Oh Miami, Miami, Miami, 1973), Jaques Poulin (Volkswagen blues, 1984) ou même Émile Ollivier (Mère-Solitude, 1996). Plus récemment, des récits de voyage directement publiés sur le web (par Jean Désy ou Laure Morali, par exemple), poursuivent cette exploration du territoire nord-américain – qui est aussi une exploration des potentialités des nouveaux outils numériques, et de la reconfiguration de l’espace qu’ils supposent.

Si l’imaginaire du voyage a été pensé à travers de nombreuses disciplines – en arts, lettres, sciences humaines et sociales – les nouveaux liens qui se sont tissés depuis une vingtaine d’années entre l’espace géographique et l’espace numérique constituent un champ de connaissances encore à déchiffrer. En s’inscrivant au croisement de la pensée littéraire et de la pensée du fait numérique, notre projet entend contribuer à ce déchiffrement, tout en œuvrant au renouvellement des études sur le récit de voyage. Plus précisément, il s’agit pour nous d’élaborer une nouvelle pensée pratique de la problématique spatiale. À cet effet, l’approche en recherche-création s’est imposée, car c’est bien à l’articulation du théorique et du pratique que peut émerger une nouvelle pensée de l’espace : aujourd’hui plus que jamais, il est en effet nécessaire d’être acteur de la construction de l’espace, alors même que la médiation numérique a peu à peu imposé ses propres paramètres à la cartographie (aussi bien physique que mentale) du monde.

De l’aveu même du géographe David Harvey, « The geographical imagination is far too pervasive and important a fact of intellectual life to be left alone to geographers ». C’est ainsi qu’à partir des années 1960, les sciences humaines et sociales ont été marquées par l’émergence d’un paradigme spatial qui encourageait, dans une perspective interdisciplinaire, l’exploitation de concepts spatiaux pour penser la construction du savoir. Ce tournant spatial aura deux conséquences majeures : il marquera un renouveau épistémologique dans de nombreuses disciplines – sociologie, histoire, littérature – tout en encourageant une nouvelle compréhension de l’espace, désormais affranchi de la seule perspective géographique. Car l’espace, ce « corps imaginaire » comme le qualifiait Paul Valéry, est en effet une construction complexe dont l’origine est multiple, à la fois physique, symbolique, sociale, politique, mais aussi littéraire. Il peut, à cet égard, se donner à lire et à analyser comme un texte, et à plus forte raison un intertexte. Depuis les voyages d'Ulysse racontés par Homère à la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de George Perec, la littérature et en particulier ses récits de voyage ont toujours proposé une cartographie mentale du monde à la fois poétique, romanesque et intertextuelle. Notre projet a pour objectif de mettre en tension cet imaginaire et de participer à sa réinvention, alors même que le concept d’espace semble muter et se (re)formater sous l’effet du numérique et de certaines de ses instances institutionnelles (Google Map, Google Street view, etc.).

C'est en effet une tout autre cartographie mentale que dessinent aujourd'hui les technologies numériques et en particulier le web, dont le quadrillage quasi exhaustif du monde a bouleversé notre façon de comprendre et d’habiter l’espace. Depuis peu, l’apparition dans notre quotidien d’outils cartographiques immersifs, combinés à l’imagerie photographique ou satellite, nous assure (en apparence du moins) une maîtrise du monde plus importante que jamais ; la généralisation du procédé de géolocalisation laisse penser qu’il est devenu impossible de se perdre – avec, en contrepartie, les dérives que le procédé entraîne en termes de surveillance et de contrôle des individus. À cet égard, l’influence que les outils numériques exercent à la fois sur l’espace et sur notre façon de l’habiter est devenue un enjeu majeur de la réflexion sur le numérique. Avons-nous d'ailleurs encore besoin de voyager maintenant que tout semble accessible depuis notre écran ? Il n'existe en effet presque plus d'espace qui ne soit pas déjà pensé et rendu accessible par le web. Google Maps propose même des treks à la manière d'une agence de voyages, en associant des thématiques aux paysages numérisés : Churchill, au Canada, est consacré aux ours polaires... Comme on peut le constater, cette "cartographie" est loin d'être neutre et véhicule une série de mythes associés aux lieux représentés. De fait, comme certains ne manquent de le signaler, nous courons tous le risque de subir l'agencement de l'espace proposé par ces nouveaux dispositifs et les grandes multinationales du web qui les ont façonnés.

Dans ces conditions, est-il encore possible de demeurer les principaux protagonistes de la production de l'espace dans lequel nous vivons ? La littérature et ses récits de voyage, eux-mêmes influencés par les nouveaux médias, peuvent-ils encore constituer un outil de production de l'imaginaire spatial qui nous permette de nous réapproprier les lieux et les territoires en apparence dépossédés de toute valeur littéraire par les géants de l'information ? Comment écrire aujourd’hui le voyage?